Le creuset des sciences de l'Asie Centrale

 

Une démarche scientifique ('ilm, science en arabe) s’était largement développée dans les pays arabes dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, contrairement à l'Europe, où la pensée scientifique a été longtemps bridée par le dogme chrétien, jusqu'à la Renaissance. En Asie, une meilleure conciliation entre pensée religieuse et pensée scientifique a permis le développement d'une démarche scientifique tournée vers la compréhension du monde (Roux J-P, 1994). Les savants arabes d’Asie Centrale ont  ainsi travaillé les mathématiques, l’astronomie, la philosophie, la poésie, la musique, la géographie, la calligraphie permettant de transcrire sur parchemin les avancées intellectuelles. 

 

Illustration de mathématiques arabes (Bibliothèque Nationale de France)
Illustration de mathématiques arabes (Bibliothèque Nationale de France)

 

Leurs réflexions s’inspiraient des plus anciennes civilisations (Assyrie, Babylone, Grèce, Rome) et de celles des civilisations contemporaines (Chine, Syrie, Afghanistan, Inde). En astronomie, ils utilisaient les traductions d’ouvrages cultes, comme l’Almageste de Ptolémée, et les traités des savants arabes des siècles précédents, ouvrages qu’ils cherchaient à améliorer et à enrichir. Après le fort déclin qui suivit la conquête Mongole, le renouveau amorçé  sous  Timour, s’est concrétisé  par un très important essor intellectuel en Transoxiane au temps d’Ulugh Beg, dont la renommée s’est répandue en Asie puis en Europe via l’Espagne, grâce aux travaux de la Madrasa et de l’Observatoire de Samarcande, ses chef-d'oeuvres.

 

Les avancées en astronomie ont essentiellement portées sur l’amélioration de l’observation des  positions des corps célestes avec le développement de nouveaux instruments et sur l’affinement du calcul des mouvements des astres grâce au progrès des mathématiques. Par contre il n’y eut pas de remise en cause du modèle du monde, dont la Terre restera le centre jusqu’au XVIème siècle, ap J.C. malgré quelques tentatives en faveur du modèle héliocentrique.

 

On rappellera ci-après, quelques uns des savants arabes les plus réputés, pour bien montrer leur apport considérable au développement de la démarche scientifique et de la connaissance. (Akmedov, 1998), (Bruceña, 2004), (Mushtag Q, 1998). De ces avancées scientifiques majeures découleront tous les travaux de l’époque Ulugh Beg,  dans le domaine de l’astronomie ('ilm alhay'a, science de l'univers), puis ceux de la Renaissance européenne. 

 

Les savants et les astronomes d'Asie centrale

 

Ce chapitre s'inspire de plusieurs références bibliographiques de diverses sources dont  (Stern, non daté), (Walid et Monzur, 1998), (Wikipedia, 2009), (Lacitoyennete, 2009), (Al-Hassan et Hill, 1991), certaines illustrations de timbres postaux dues à (Miller, 2009) et des communications privées (M. Schvoerer M. et C. Ollagnier, 2009), (Babour Aminov, 2009).

 

Statue de al-Khwarazmi à Khiva. (Raymond, 2007)
Statue de al-Khwarazmi à Khiva. (Raymond, 2007)

 

Muhammad Musa Al-KHWARAZMI

(Al-Khorezmi): mathématicien et astronome très renommé de la première moitié du 9ème  siècle. Chef de la "Chambre de la Sagesse", l'académie des sciences établie à Bagdad par Al Ma'mun, fils du calife Harun Al Rashid des fameuses " Mille et Une nuits". Al-Ma’mun réunit autour de lui à Bagdad en 819 ap J.C., après Merv, des astronomes réputés, qui mesurèrent par exemple une longueur de un degré du méridien terrestre en Syrie. Al-Khwarazmi  a créé l’algébre (al-jabr), telle qu'on l'entend aujourd'hui.

Ses travaux ont aussi concerné les équations quadratiques, la géométrie et les méthodes de partage des héritages Il a réalisé des traités et des tables astronomiques, dont les traductions en latin sont les plus anciennes de l’Europe Médiévale. Il aurait introduit chez les Arabes le système de numération indien, utilisant la notation décimale et le zéro. En Europe, ce système s'est appelé "algorism" ou "algorithme," une déformation du nom al-khorezmi. En astronomie, al-Khwarazmi a étudié les éclipses, les anomalies lunaires, les parallaxes, l’année sidérale. Il fut promoteur d’un univers dynamique et non plus statique. Il est l’auteur des tables Zij al Sindhind et du traité al-Mukhtasar fihisab al-jabr wa’l-muqabala.

 

Abu al-Abbas al-FARGHANI : astronome (800-861 ap J.C.), qui travaillait dans les observatoires de Bagdad et de Damas créés par Al Ma’mun. Connu en Europe comme al-Fraganus. Vers 840, il fut l’auteur du Kitabusul’ilm al-nujum, (thésaurus de la science des étoiles), un célèbre traité d’astronomie avec une traduction de l’Almageste de Ptolémée. Il a mesuré le diamètre de la Terre.

 

Thabit-in-QURRA: mathématicien et astronome à Bagdad (836-901 ap J.C.). Il étudia le cadran solaire, le mouvement des astres (soleil, lune) et la précession des équinoxes.

 

Abdul-Rahmân al-SUFI: scientifique iranien d’Ispahan (903-986 ap J.C..) Auteur de très nombreux ouvrages dans le domaine des sciences mathématiques et de l’astronomie. Il a rédigé en 950 ap J.C., le livre Sovar al-kavâkeb (les corps astraux). Il fut le premier à observer à l’œil nu la galaxie d’Andromède, répertoriée M31 dans le catalogue de Messier de 1769 ap J.C. (Godfroy, non daté), ainsi que le Grand Nuage de Magellan. A partir d’observations personnelles minutieuses, il est à l'origine de la définition de la magnitude (luminosité des astres célestes) et des noms arabes donnés aux étoiles. Son livre a été très utile pour la navigation maritime qui a permis aux hommes de voyager loin de leurs pays d’origine.

Timbre Afghan d'al-Biruni, (Miller, 2009).
Timbre Afghan d'al-Biruni, (Miller, 2009).

Abu Rayhan al-BIRUNI:

Très célèbre philosophe et scientifique (973-1048). Il introduisit le concept de fonction en mathématiques.

Plus de la moitié de ses 150 traités concernent l’astronomie, en particulier le traité al-Qanum al-Mas’udi.

Il fit la synthèse des travaux des savants arabes et indiens des 3 derniers siècles.

Il décrivit la rotation de la terre autour de son axe, pour expliquer le lever et coucher des astres.

Il stigmatisa la conception géocentrique du système solaire, en vigueur depuis Ptolémée.

Il calcula le rayon de la Terre (6339,6 km, très proche de sa valeur actuelle 6378,14 km).

 

Habash al-HASIB: mathématicien spécialiste de trigonométrie au 9ème siècle, pour application à l’astronomie. Il a résolu l’équation t = θ-msinθ pour θ=θ(t), équation dite plus tard de Képler.

 

Portrait de al-Battani, d'après Farabi (Farabi, non daté)
Portrait de al-Battani, d'après Farabi (Farabi, non daté)

Muhammad al-BATTANI:

mathématicien et astronome à Ar-Raqqa puis à Bagdad.

Né en Irak vers 855, mort en 923,  dit « le Ptolémée arabe ».

Il est un des pères de la trigonométrie.

Il est l'auteur des tables d’astronomie Kitab al Zij.

Il corrigea certains calculs de Ptolémée et donna des tables pour le soleil et la lune.

Ce Zij a influencé les astronomes européens, dont certains considéraient Al-Battani comme un des meilleurs  astronomes du monde.

 

 

Hamid al-KHUYANDI: mathématicien et astronome du 10ème siècle ap J.C., qui démontra le théorème du sinus pour un triangle sphérique. Il inventa et érigea le Sextant, dit de Fakhri, pour mesurer la latitude des cités et l’obliquité de l’écliptique. Ce sextant, d’un diamètre utile de 40m, servit de modèle à celui de l’observatoire de Samarcande, 4 siècles plus tard.

 

Effigie d'Omar Khayyam par C. Immodinova (Ibrahimjon, 2009)
Effigie d'Omar Khayyam par C. Immodinova (Ibrahimjon, 2009)

Omar KHAYYAM: mathématicien et astronome du 11ème siècle.

Omar Khayyam fut aussi un philosophe-poète. Il est né en 1048 à Nichapour et mort en 1131. Il mena avec Abd-al-Rhaman al–Khazini des travaux d’astronomie (tables Malikshah). Il contribua à l’adoption du célèbre calendrier Jalali en Perse en 1079. Il étudia les équations du 3ème degré et dirigea l’observatoire, construit à Bukhara.

Poète renommé, auteur de nombreux Rubayats (poèmes en persan), comme par exemple celui-ci dédié à l’univers (Maalouf A, 1988), (Farzaneh et Malaplate, 1999):

 

« Cette céleste Roue à nos yeux suspendue
Est lanterne magique étonnant notre vue.
Du milieu, le soleil éclaire la lanterne,
Et nous tournons autour, images éperdues. »

 

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Timbre d'Azerbaïdjan à l'effigie de Din al-TUSI, (Miller, 2009)
Timbre d'Azerbaïdjan à l'effigie de Din al-TUSI, (Miller, 2009)

Nasir ad-Din al-TUSI : mathématicien et astronome du 13ème siècle.

Auteur de tables très précises du mouvement des planètes dans son "Zij-i ilkhani". Son système planétaire fut utilisé de manière intensive jusqu'à ce que Copernic développe le modèle héliocentrique. Il calcula la précession des équinoxes (51" par siècle) et contribua au développement de nombreux instruments astronomiques, dont  l’astrolabe. Auteur des principes complets de la trigonométrie plane et sphérique. Il travailla à  l’observatoire de Maragha, construit en 1259.

 

 

Comparaison des épicycles expliquant le mouvement des planètes, (G. Saliba, 2009)
Comparaison des épicycles expliquant le mouvement des planètes, (G. Saliba, 2009)

Ibrahim Ibn al-SHATIR: mathématicien-astronome de Damas au 14ème.

Il améliora le modèle Terre-Lune-Soleil de Ptolémée en 1375, identique à celui que Copernic proposa plusieurs siècles plus tard. (Saliba, conférence à l'UNESCO 2009).

Il publia le traité "Kitab nihayat al sul fi tashih al-usul", inventa l'horloge astrolabe et réalisa le cadran solaire du Minaret de la Mosquée des Ommayades de Damas.

 

Qadi-Zada al-RUMI : mathématicien et  astronome du 15ème siècle ap J.C.. Né en Anatolie, il quitta la Turquie soumise par Timour et arriva à Samarcande en 1410 ap J.C. où il devint le professeur d’Ulugh Beg, avant d’enseigner dans la Madrasa et diriger le nouvel Observatoire de Samarcande.

Qadi-Zada al-Rumi fut un éminent mathématicien, auteur par exemple, en 1412, ap J.C.  d’une analyse de 35 propositions d’Euclide. Il est mort à Samarcande en 1436. ap J.C. (O’Connor & Robertson, 2009). 

 

Peinture contemporaine représentant al-Kaschi, Musée de l'Observatoire de Samarcande (M. Schvoerer, 2008)
Peinture contemporaine représentant al-Kaschi, Musée de l'Observatoire de Samarcande (M. Schvoerer, 2008)

 

Jamshid al-KASCHI:

mathématicien et astronome du 15ème siècle ap J.C..

Né vers 1380 J.C., à Kashan (Iran). il fit ses premières observations astronomiques (éclipse de lune en 1406 ap J.C.) et rédigea en persan ses premiers traités sur ce thème.

Il écrivit en 1417 ap J.C. le traité d’astronomie "Il Khanid Zij" pour la bibliothèque d’Ulugh Beg, qu’il rejoignit à Samarcande.

Al-Kaschi professa à la Madrasa Ulugh Beg à Samarcande.

On lui doit aussi la description de la technologie de construction d'instruments d’observation astronomique.

Il rédigea plusieurs ouvrages mathématiques (dont une encyclopédie mathématique) et calcula le nombre pi avec 16 décimales.